Sur l’agression armée de la Russie contre l’Ukraine en mer Noir et en mer d’Azov
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Depuis le début de 2014, la situation en Ukraine est et reste toujours déterminée par deux facteurs, deux défis existentiels: la nécessité de lutter par tous les moyens contre l’agression de la Russie et, en même temps, de mener des réformes profondes et, très souvent, douloureuses mais indispensables.
Malgré le fait que dans les conditions difficiles d’une guerre déclenchée par la Russie nous devons dépenser pour la défense plus de 6% de notre PIB annuel, l’Ukraine a réussi à réaliser des réformes importantes. Selon le rapport de l’UE sur la mise en œuvre de l’accord d’association publié le 09 novembre 2018, l'Ukraine a progressé dans la mise en oeuvre de réformes exigeantes au cours de l'année écoulée, notamment dans les domaines des soins de la santé, des retraites, de la décentralisation, de l'administration publique, des marchés publics et de l'environnement. Il convient de mentionner également la reforme du secteur bancaire et une percée conséquente dans la lutte contre la corruption, suite à la création de la Cour Anti-corruption.
Tout cela - dans le contexte d'une situation sécuritaire extrêmement instable et dangereuse dans le Donbas. Les forces régulières de l'armée russe ainsi que des «volontaires» et des mercenaires russes sont toujours présents sur le territoire ukrainien. Aujourd’hui, la Russie a formé sur le territoire occupé 2 corps d'armée qui comptent 35200 militaires, parmi lesquels - environ 2100 hommes appartiennent aux forces régulières russes qui occupent des postes clés (parfois cette chiffres étaient encore plus élevées – jusqu’au 10000). 82 500 militaires russes sont déployés à la frontière de l’Ukraine. Le nombre de chars dans les bases militaires russes situées le long de notre frontière a triplé. Actuellement, sur le territoire occupé du Donbas, il y a 480 chars, 850 véhicules blindés, 760 canons de différents calibre et 210 lance-missiles. Les autorités des soi-disant républiques de Donetsk et de Louhansk sont sous le contrôle total de la Russie qui tente de déstabiliser la région encore davantage.
Cette agression nous a déjà coûté plus de 10 mille vies ukrainiennes. En 2018 – plus de 120 ukrainiens ont perdu leurs vies. Plus que 2 millions de personnes sont déplacées au sein d’Ukraine.
Il est important à souligner qu’en même temps la Russie augmente en permanence sa présence militaire en Crimee. Depuis 2014, sur cette péninsule, le nombre de soldats a triplé, celui des blindés a quintuplé et celui de l'artillerie a presque décuplé. La Russie traite la Crimée comme une espèce de porte-avion insubmersible.
Maintenant, la Russie tente d’ouvrir un nouveau front en mer d’Azov. Elle a construit illégalement le pont de Kerch, elle a augmenté drastiquement son potentiel militaire en mer d’Azov et elle empêche systématiquement la navigation dans la région. Pour l’instant, son potentiel de frappe dans les mers Noire et d’Azov comprend 3 composants: les complexes de missiles côtiers, les avions de combat avec les hélicoptères et les porteurs de missiles de croisière basés en mer. La Russie peut utiliser au total 30 complexes de lanceurs de missiles côtiers, plus de 200 avions et hélicoptères et environ 30 navires et sous-marins.
Depuis avril 2018, les forces de sécurité russes menacent la liberté de la navigation et bloquent des ports ukrainiens de Marioupol et Berdyansk dans la mer d'Azov. Elles ferment certaines zones de la mer d'Azov sous prétexte d'exercices militaires de navires de guerre russes et retiennent à long terme des navires qui se dirigent vers les ports ukrainiens afin d’effectuer des inspections abusives par les forces de sécurité russes (Entre le 29 avril et le 30 novembre 2018, 450 navires étrangers se dirigeant vers des ports ukrainiens ont subi cette procédure. Le temps d’attente est en moyenne de 32.7 heures ; les pertes varient entre 5000 et 1500 USD par jour).
Toutes ces actions de la Russie ont pour but la transformation de la mer d'Azov et du détroit de Kertch en mer intérieure russe; la révision des frontières russo-ukrainiennes suite à l'annexion de la Crimée; le blocage de l'activité économique ukrainienne et la création d'une zone de dépression économique dans la zone côtière de la mer d'Azov (nos ports en mer d’Azov ont subi des pertes de 50 à 70% de leurs activités commerciales); l’instauration d’une instabilité socio-économique afin de déstabiliser la situation en Ukraine à la veille des élections présidentielle et parlementaires.
C’est pourquoi les évémements du 25 novembre ne nous ont pas surpris outre mesure. Nous avons maintes fois averti nos partenaires de la croissanse de la tension dans la région et de la possibilité d’une aggravation de la situation sécuritaire.
Nous avons les preuves solides que l’agression du 25 novembre, cette attaque contre les navires de guerre de la marine ukrainienne n’était pas une erreur, ni un accident, mais une action délibérée. La décision d’attaquer des navires ukrainiens a été prise au plus haut niveau du pouvoir russe.
Selon la législation en vigueur, les navires ukrainiens ont de plein droit le libre passage par le détroit de Kertch. Par ailleurs et par précaution, dans le strict respect des traités internationaux multilatéraux et bilatéraux, l’Ukraine a informé les autorités de facto du port de Kertch par les voies de communication traditionnelles, de son intention légitime de traverser le canal de Kertch-Yenikale. L’Ukraine a essayé d’établir une communication radio avec le port de Kertch pendant plus de deux heures, mais sans succès. Plus tard, l'officier de contrôle maritime du port de Kertch a dirigé le groupe de bateaux de la marine ukrainienne vers la soi-disant zone d'attente. Il a déclaré que, dans un certain temps, les navires ukrainiens seront informés de la procédure de passage du détroit de Kertch. Après cela, un navire des garde-côtes russes a lancé une attaque contre le remorqueur «Yani Kapu» et l'a endommagé. En outre, des navires russes ont bloqué le groupe de bateaux ukrainiens pour les empêcher de porter assistance au navire endommagé. Après quelques temps, en raison de l'impossibilité de franchir le détroit, les navires de la marine ukrainienne sont repartis pour quitter la zone du détroit de Kertch. Après la sortie de la soi-disant «zone des 12 miles» (cette zone concerne la péninsule ukrainienne la Crimée), et étant déjà en haute mer, les navires ukrainiens ont été attaqués et capturés par les forces russes. Les 24 militaires ukrainiens ont été capturés, six d’entre eux ont été blessés dont deux grièvement. Pour la premiere fois le commendement russe a donné un ordre officiel – non-dissimulé par les «petits bonshommes verts» - de tirer sur des militaires ukrainiens pour les tuer.
Il est évident, que de tels actes de la Fédération de Russie en mers Noire et d’Azov constituent une violation flagrante de la Charte des Nations Unies et de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
Ces actions agressives des autorités militaires russes correspondent parfaitement à la définition de l'agression dans la résolution 3314 de l'Assemblée générale des Nations Unies.
En réponse à l’état de risque et de vulnérabilité accrue dans lequel l’Ukraine se trouvait suite à l’acte d’agression de la part de la Russie le 25 novembre, le 26 novembre le Parlement de l'Ukraine a pris la décision d’introduire la loi martiale pour une période de 30 jours dans 10 régions de l'Ukraine. L’Ukraine a adopté la loi martiale afin de créer les conditions permettant de repousser une agression armée et d'assurer la sécurité nationale, en éliminant les menaces à l'indépendance et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine. En même temps, cette loi ne limite pas les libertés civiles et ne met pas en doute la tenue des élections présidentielles car la date de celles-ci, le 31 mars, est fixée par une autre loi.
L'Ukraine reste pleinement attachée au règlement politique et diplomatique de la situation comme à la mise en oeuvre des accords de Minsk. Nous avons une vision claire quant à leur implémentation: un règlement politique ne peut être entamé que si les critères de sécurité, humanitaires et socio-économiques sont remplis.
Je voudrais souligner qu’après la signature des premiers documents, en septembre 2014, la partie ukrainienne a rempli toutes les obligations de sécurité. Elle a adopté aussi une loi sur l’ordre spécial de gestion locale dans les territoires temporairement occupés des régions de Donetsk et de Louhansk, qui est en vigueur et tient compte de toutes les ententes parvenus avec la Fédération de Russie. Le 4 octobre 2018, le Parlement de l'Ukraine a prolongé d’un an la validité de cette loi (d'ici à la fin de 2019). Cela confirme le respect par l'Ukraine de ses obligations au titre des AM.
La Verkhovna Rada a approuvé un projet de loi sur l'amnistie. L’Ukraine a lancé les préparatifs techniques pour les élections locales sur les territoires temporairement occupés des régions de Donetsk et de Louhansk, qui devaient être effectués sur base de la législation ukrainienne et conformément aux normes de contrôle de l'OSCE.
Parallèlement, nous constatons des violations répétées et un non-respect systématique par la Russie des accords de Minsk, ce qui témoigne du manque d'intérêt de Moscou pour le respect de ses engagements en matière de règlement pacifique. Nous en avons un exemple flagrant avec les actions de la Russie pour l’organisation et la tentative de légitimation des élections factices dans le Donbass, le 11 novembre..
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
L’agression de la Russie constitue un défi direct non seulement pour l’Ukraine mais aussi pour la communauté internationale, car la Russie ne dissimule pas ses intentions de recourir à toute action contraire aux règles fondamentales du droit international, en ayant confiance dans son impunité.
L'escalade dramatique de la situation dans la région exige une réponse rapide et consolidée de la part de la communauté internationale. Faute d’une réponse ferme et rapide, l’aggression du 25 novembre sera suivie par le blocus des ports ukrainiens en mer Noire, les tentatives de changer l’équilibre politico-militaire dans la mer Noire et la Méditerranée orientale en faveur de la Russie. On peut même craindre la répétition d’un scénario similaire en mer Baltique.
L'Ukraine compte sur la position ferme de la communaute internationale et de la France pour condamner les actions de la Russie comme un acte d'agression contre l'Ukraine.
Nos objectifs communs sont clairs: exiger que la Russie libère immédiatement les 24 soldats ukrainiens et les 3 navires capturés; assurer le déblocage durable et le libre passage du canal de Kerch-Yenikale ainsi que la liberté de navigation dans la mer d'Azov en pleine conformité avec le droit international; mettre en place une surveillance permanente de l'OSCE dans la zone de la mer d'Azov et du détroit de Kertch.
Il est aussi important d’imposer de nouvelles sanctions, notamment, des sanctions individuelles contre les responsables d’actes d’agression commis à l’encontre des navires militaires ukrainiens dans le détroit de Kertch; d’interdire l’entrée des ports de l’UE aux navires russes impliqués; d’imposer des sanctions contre les ports russes de la mer d’Azov, ainsi que de renforcer le soutien économique de l’UE aux ports de Mariupol et de Berdyansk et à l’ensemble de la région. La présence permanente des alliés, y compris de leurs navires militaires, dans la mer Noire est aussi souhaitable comme moyen de dissuasion.
Le temps des paroles appartient désormais au passé. Il faut renforcer les actes et adopter des mesures fermes pour arrêter l’agression russe.